Un article de Wendy Nève

On entend parfois : « C’est difficile à lire, l’alfonic ! » Avec, en filigrane, l’idée que l’orthographe, c’est tout de même plus simple, plus évident, plus clair, en un mot plus logique.

Derrière cette affirmation péremptoire se révèle une nébuleuse d’idées fausses ou toutes faites.

Je lis comme je respire

Est-ce votre cas ? C’est en tous cas le mien. Depuis le temps que je la fréquente (plusieurs décennies), l’orthographe n’a plus de secrets pour moi. Grâce à l’école qui m’en a fait percer les arcanes et m’a encouragée à lire, lire, lire, j’ai aujourd’hui des milliers d’heures de lecture à mon actif, sans parler des innombrables messages écrits que nous voyons partout (affiches publicitaires, étiquettes de produits, etc.). C’est dire à quel point mes yeux et mon cerveau sont habitués à l’orthographe. Par la force de l’expérience, comme la plupart des lecteurs adultes expérimentés, je lis de manière globale : au lieu de déchiffrer lettre par lettre, j’englobe d’un coup l’ensemble du mot – voire même l’ensemble d’une phrase.

Si j’avais utilisé ces heures de lecture à autre chose (de la danse ou de la guitare, par exemple), j’aurais pu devenir une professionnelle dans le domaine. Je tiens à préciser ce qui pourrait passer pour une évidence : c’est notre longue expérience de l’orthographe qui nous la rend si familière.

L’habitude de la complexité

Hé oui : notre longue expérience, bien plus que la logique intrinsèque du système orthographique français. Celui-ci s’est enrichi au fil des siècles. Pour les Académiciens, c’est une merveille de raffinement. Mais si on s’y intéresse dans le détail, on découvre que l’orthographe est un casse-tête de complexité, qui accumule les règles et les exceptions. À la Renaissance, elle a été volontairement compliquée par les érudits, soucieux de ne la rendre accessible qu’à un petit nombre de gens cultivés. « Le peuple, se mettre à lire ? Pour quoi faire ? Qu’il s’occupe donc de ses légumes et qu’il nous laisse rédiger, disserter, réfléchir à sa place. »

Aujourd’hui, dans nos pays, nous avons la chance que l’école soit obligatoire pour tous. La lecture et l’écriture ne sont plus réservées à l’élite dominant la nation. Mais l’écriture de notre langue, croyant par là conserver « ses lettres de noblesse », s’est crispée sur une orthographe surannée et trop complexe pour être comprise spontanément. Il arrive même que notre orthographe flirte dangereusement avec l’écriture idéographique, tant le lien devient parfois ténu entre les phonèmes qu’on prononce réellement et les lettres qu’on écrit. Ce qui sauve les dictées, c’est souvent la mémoire visuelle, bien plus que la connaissance fine des règles de l’orthographe…

Trop complexe pour être comprise spontanément, oui. Les jeunes francophones doivent faire des efforts durant des années avant de percer les mystères de l’orthographe. Faudrait-il la simplifier ? Ce n’est pas ici notre débat. Mais il serait bon, pour les débutants, de pouvoir profiter d’un « tremplin » qui les réconcilie avec l’écriture de leur langue, avant de passer aux règles de l’orthographe. C’est là qu’intervient l’alfonic, qui offre aux enfants le loisir d’écrire ce qu’ils entendent (une lettre égale un son ; un son égale une lettre) avant d’entrer dans l’apprentissage bien nécessaire de l’orthographe.

Pour les enfants, cette autorisation provisoire à écrire les sons (les phonèmes) du français tels qu’ils les entendent, tout en valorisant leurs capacités à identifier chacun d’eux à l’oreille, provoque un véritable soulagement.

Un tout petit effort pour le prof, un grand soulagement pour les élèves

Pour un adulte qui a appris laborieusement l’orthographe, « faire marche arrière » vers une écriture plus simple requiert un petit effort. C’est sûr : il doit s’habituer les yeux et le cerveau à une petite nouveauté. Mais cette nouveauté est si simple qu’un adulte la maîtrisera en moins d’un jour. L’alfonic, par sa rigoureuse logique, favorise un apprentissage rapide.

Toutes les expériences menées dans les années 1970 et 1980 ont été des réussites. Et les élèves qui ont débuté avec l’alfonic ont, majoritairement, une meilleure orthographe que ceux qui furent plongés d’emblée dans cette dernière. Paradoxal ? Non, logique. Tout apprentissage découpé en étapes selon le degré de difficulté est autrement plus efficace et plus approfondi qu’un apprentissage imbriquant plusieurs difficultés dès l’abord.

Aussi, refuser un petit effort sous prétexte que c’est « difficile à lire » (pour l’adulte uniquement) me paraît un argument fort peu recevable. N’est-ce pas d’abord à l’adulte – qu’il soit prof ou parent – qu’il incombe de faire les efforts nécessaires pour poser les jalons d’un apprentissage serein ? Pour ma part, je suis convaincue que le meilleur maître sera toujours celui qui saura commencer par se mettre au niveau des élèves.

Photo : © Pixabay.

Un commentaire sur « L’alfonic, un petit effort pour le prof, un soulagement pour les élèves »

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